Mandaté par Bercy, Bris Rocher, le PDG du Groupe Rocher, a évalué l’impact de la loi Pacte sur les entreprises pour qu’elles œuvrent en faveur du bien commun. Il a émis 14 recommandations pour convaincre ces dernières de se doter d’une raison d’être ou d’une mission.
Avec la loi Pacte de 2019, la France a voulu que les entreprises prennent leurs responsabilités sur le plan sociétal. Elle leur a donné la possibilité d’inscrire une raison d’être dans leurs statuts voire, pour les plus volontaires, de se transformer en sociétés à mission. Deux ans et demi plus tard, qu’ont-elles fait ? Comme la Maif, le Crédit Mutuel Alliance Fédérale, Groupe Rocher, ou bien La Poste, près de 300 entreprises se sont converties en sociétés à mission . Par comparaison, aux États-Unis, en dix ans, 5.000 entreprises américaines ont pris le label équivalent, « B Corp ».
Une seule entreprise à mission dans le SBF 120
En France, celles qui ont adopté ce statut ont en général moins de 50 salariés, sont plutôt jeunes, majoritairement parisiennes. Une seule entreprise à mission est cotée dans le SBF 120, Danone . En revanche, 55 sociétés de cet indice boursier se sont dotées d’une raison d’être ; et neuf l’ont inscrite dans leurs statuts (dont Atos, Eramet, Edenred, Icade, EDF, ADP, Engie, Orange), ce qui est évidemment plus engageant.
En mai dernier, Bris Rocher, le PDG du Groupe Rocher, avait été missionné par Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, des Finances et de la Relance, et Olivia Grégoire, chargée de l’Economie sociale et solidaire, pour dresser un état des lieux et formuler des recommandations. Son rapport a été remis à Olivia Grégoire et à Bruno Le Maire ce mardi.
Le constat est le suivant : l’engouement pour les entreprises à mission est fort. Mais outre la pandémie de coronavirus, d’autres raisons ont calmé les ardeurs de certains dirigeants. D’abord, beaucoup de PME méconnaissaient l’obligation de prendre en compte les enjeux sociaux et environnementaux. Certaines redoutent les risques juridiques associés à l’adoption d’une raison d’être, qui pourraient entraîner des poursuites devant les tribunaux contre elles-mêmes ou leurs dirigeants. D’autres déplorent l’absence de contrepartie financière immédiate (pas de régime fiscal allégé par exemple). Enfin, la brutale éviction d’Emmanuel Faber, PDG de Danone, en mars dernier, a stoppé net certains projets de formalisation de raisons d’être ou de sociétés à mission.
Les recommandations phares
Quelles sont les recommandations phares de ce rapport pour changer les choses ? Communiquer, d’abord, en publiant un guide de bonnes pratiques qui rendrait concrète l’obligation de prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux, et en multipliant les actions de sensibilisation auprès des entreprises.
L’État pourrait par ailleurs poursuivre les efforts engagés pour que les entreprises dont il est actionnaire et les établissements publics adoptent des raisons d’être. La qualité de sociétés à mission pourrait être étendue aux sociétés civiles et aux groupements d’entreprises.
Autre préconisation : les entreprises cotées qui se sont dotées d’une raison d’être statutaire pourraient rendre compte une fois par an à leurs actionnaires de l’apport de la stratégie mise en œuvre et des résultats liés. Elles pourraient aussi conditionner une fraction de la rémunération variable des salariés et des dirigeants à des critères extra-financiers.
Le rapport de Bris Rocher vise aussi à clarifier le rôle du « comité de mission », l’instance chargée de suivre l’exécution de la mission. La loi Pacte l’a voulu indépendant, mais elle s’est montrée vague sur ses liens avec le conseil d’administration. Le rapport prend parti pour que ce comité travaille de manière « collaborative » avec la direction. De la même manière, le rapport souhaite que le gouvernement clarifie le champ d’intervention de l’OTI (Organisme Tiers Indépendant) qui doit vérifier au moins une fois tous les deux ans la bonne exécution des objectifs sociaux et environnementaux.
Une fiscalité attractive
Enfin, dernier point, le rapport a voulu lever les freins au développement des fonds de pérennité, ces fonds créés par la loi Pacte dans le but de sanctuariser le capital d’une entreprise. Parce qu’ils sont constitués par l’apport gratuit et irrévocable de titres par des dirigeants et que ce sont les seules structures permettant de financer ou de réaliser aussi des œuvres ou des missions d’intérêt général, Bris Rocher propose de rendre la fiscalité des droits de mutation plus attractive. « Si un dirigeant se dépossède de son entreprise, il ne faudrait pas en plus qu’il soit puni pour cela », explique Bris Rocher.
Les Echos Laurence Boisseau, avec S.Ro. 19 oct. 2021