Fabrice Anselmi 15/04/2021 L’AGEFI Quotidien

Les analystes estiment que Bruno Le Maire aurait en tête d’obtenir un peu de souplesse sur les dettes sociale et fiscale.

L’annonce a surpris les avocats spécialisés dans la restructuration des dettes d’entreprises. Une partie de la dette de certaines entreprises confrontées aux retombées économiques de la crise sanitaire du Covid pourrait être annulée «au cas par cas», a déclaré mercredi sur BFM TV le ministre de l’Economie et des Finances Bruno Le Maire. «On ne va pas attendre que l’entreprise se prenne le mur. On va regarder sa situation (…), voir s’il faut étaler sa dette, voire annuler sa dette en partie», a-t-il ajouté. Pour cela, le ministre proposera «d’ici à quelques semaines un dispositif de concertation et de conciliation qui doit permettre pour toutes les entreprises qui sont en train d’arriver face à ce mur de la dette de leur proposer une solution sur mesure». La concertation permettrait de réunir l’État, le commissaire aux comptes, les représentants du Tribunal de commerce et les banquiers pour mieux identifier les problèmes et leur donner du temps a détaillé le ministre en citant l’exemple des PME de l’aéronautique qui pourraient rebondir…

Face à l’incompréhension, des sources financières informées expliquent que «le ministre a avancé l’idée en étant conscient des risques de défaillance à venir d’entreprises qui, pour certaines auraient fait défaut de toute façon, mais pour d’autres avaient une activité tout à fait viable avant la crise et qui le redeviendra après : il souhaite qu’un processus permette entretemps d’anticiper, d’accompagner et d’informer au mieux ces entreprises, en toute transparence».

S’il devait s’agir d’annuler de la dette privée, les avocats spécialisés en restructuration s’étonnent quand même : «N’est-ce pourtant pas déjà l’objectif du droit des entreprises en difficulté de permettre de la réduire voire de l’annuler ? Ce n’est pas le rôle de l’État de s’immiscer : il appartient aux tribunaux de valider des plans prévoyant le cas échéant des réductions de dette conformément à la loi», rappelle l’avocate Sophie Vermeille (Vermeille & Co), en évoquant les différentes procédures existantes. «Nous sommes dans une économie libérale où l’État ne peut pas décider de l’annulation des dettes privées comme ça, confirme Didier Bruère-Dawson, associé de Bryan Cave Leighton Paisner (BCLP). Même pour les entreprises de plus de 400 salariés, le Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) propose, mais ne peut rien imposer aux créanciers privés.» 

Pour les dettes sociale et fiscale, ce serait un autre débat. «Mais pour être cohérent avec son idée, pourquoi l’État n’envisage-t-il pas la suppression du ‘privilège du Trésor’, une spécificité française qui rend les dettes sociales prioritaires sur toutes les autres créances chirographaires», s’interroge Sophie Vermeille. Selon elle, cette situation spécifique fragilise les entreprises ayant des difficultés d’accès au crédit. Une telle réforme encouragerait aussi les services de l’Urssaf à se mobiliser plus rapidement : ils sont en effet souvent les mieux placés pour déceler les premiers signes de difficulté et pourraient les contraindre à y remédier plus vite : «Au lieu cela, ils laissent traîner car on peut supposer ils se savent davantage protégés que les autres créanciers.»

Attention à la requalification  en aides d’État par Bruxelles

«Même pour ces dettes publiques – auxquelles il faut désormais ajouter les prêts garantis par l’État (PGE) – la logique est bien plus souvent au rééchelonnement des dettes qu’à l’abandon pur et simple, ce qui risquerait d’être requalifié en aides d’État à Bruxelles», rappelle Didier Bruère-Dawson. De fait, après la crise de 2008, l’État français avait autorisé via les services ad hoc d’importantes annulations de dettes sociales et fiscales pour de nombreuses entreprises et PME françaises, déjà «au cas par cas», pour plusieurs milliards d’euros au total, mais les rapports sur le sujet n’ont jamais été publiés, notamment au regard des problématiques de déficit public et d’aides d’État. Il serait du coup appréciable, mais aussi peut-être risqué, que le Ministère mette en place un processus rigoureux et transparent cette fois-ci.

Selon une étude récemment publiée les défaillances d’entreprises sont en recul de 32% sur un an au premier trimestre 2021, mais 79% des jugements mènent désormais directement à la liquidation de l’entreprise. En particulier pour les PME, qui finissent par craquer. Pour les autres, les procédures de restructuration ont reculé de 30% à 40% pour l’instant, grâce aux différentes mesures d’aides, mais les experts craignent que cela ne fasse que repousser le problème si la reprise économique n’est pas forte et rapide. Les économistes expliquent régulièrement combien des entreprises maintenues en vie artificiellement dans la durée («zombies») nuisent aux gains de productivité, à la croissance et à l’emploi, mais cette crise particulière montre aussi que la plupart des États ont pris ce parti, au moins dans un premier temps.

Médiation des entreprises

Mercredi, le Médiateur des entreprises et la Chambre de commerce et d’industrie (CCI), à qui Bruno Le Maire avait confié en décembre une mission d’accompagnement pour les entreprises des secteurs touchés par la crise (restauration, hôtellerie, voyagistes, salles de sports, traiteurs, événementiel, discothèques), ont présenté leur dispositif à deux niveaux pour optimiser leur accès aux mesures de soutien. Avec les CCI comme point d’entrée de premier niveau, du diagnostic à l’orientation vers les différents dispositifs dont l’aide des médiateurs du crédit pour négocier un rééchelonnement des crédits bancaires. Puis le Médiateur des entreprises, qui a bien précisé qu’il n’y avait pas de liens avec l’annonce du ministre (ci-dessus), peut intervenir pour traiter les différends entre entreprises, et des difficultés spécifiques d’accès aux aides.