LA METHODE « DES COÛTS CACHES »
Michèle THEPENIER 14 juin 2024
HISTOIRE DE LA METHODE DES COÛTS CACHES
L’origine de la méthode :
Henri SAVALL, économiste et professeur de sciences de gestion a créé « l’institut de socio-économie des entreprises et des organisations » ISEOR en 1976 avec Véronique ZARDET. L’ISEOR est un centre de recherche qui étudie les pratiques de management socio-économiques et leurs conséquences sur les enjeux sociaux, environnementaux et économiques dans la gestion des organisations.
Dès 1976, ce professeur émérite parmi les plus influents en management, dans un monde en profonde mutation a décrit les pratiques exemplaires de conciliation entre performance économique, sociale, sociétale et environnementale.
D’autres démarches et concepts sont apparus et complètent ce qui va devenir la méthode des coûts cachés ou de non-performance.
–Dans les années 1950, une nouvelle notion, la RSE « Responsabilité Sociétale des Entreprises », est apparue dans les débats sur la place de l’entreprise dans la société. Cette démarche RSE contraint les entreprises à traiter et à aménager une large gamme de sujets allant de l’éthique des affaires, au respect de l’environnement et au bien-être des employés.
La RSE est l’intégration volontaire des préoccupations sociales et environnementales aux activités des entreprises.
Les critères de la RSE mettent en évidence les éléments dédiés au bien-être des employés.
–Dans les années 2000, le concept de capital humain, (ou potentiel humain) fait son apparition et fait l’objet d’analyses et de préconisations malgré son caractère immatériel. Le capital humain représente l’ensemble des compétences, qualifications et connaissances qui facilite la création de bien- être personnel social et économique ;
Si les conditions sont réunies, le capital humain concoure à la création de valeur pour l’entreprise.
–H. Savall a proposé de s’intéresser aux conséquences des dysfonctionnements managériaux sur ce capital humain : les mauvaises décisions prises par le management impactent fortement l’organisation humaine de tous les services de l’entreprise au détriment de la valeur ajoutée.
Ces dysfonctionnements managériaux entrainent des manquements, des perturbations, donc des pertes de productivité et d’efficience sur les processus de production.
Ces pertes sur la valeur ajoutée ne sont pas directement imputées sur un compte comptable classique, et ne sont donc pas visibles immédiatement : ce sont bien des coûts cachés.
Bien que ces coûts cachés ou « coûts de non-performance « ne soient pas identifiés en tant que tels dans les comptes comptables, ils affectent le résultat de l’entreprise.
La lecture des livres comptables par processus n’est donc pas complète : H Savall définissait la valeur ajoutée comme la variation des quantités de capital allouées et des quantités de travail, mais le bouclage n’est jamais réalisé, une ou plusieurs variables l’en empêche.
Ces variables ont été identifiées comme étant des coûts de non-performance, des coûts cachés.
Dès lors, il convient d’examiner et d’auditer avec des valeurs métriques les processus managériaux ainsi que les processus industriels (en tenant compte de certains coûts managériaux qui affectent directement les processus industriels)
Il est donc nécessaire d’investiguer l’impact des dysfonctionnements sur la Valeur Ajoutée dans les deux grands processus de l’entreprise :
- Les processus managériaux
- Les processus de production
1-Les coûts cachés induits par les désagréments et défauts des processus managériaux
Dès 1974, le contrôle de gestion conciliant l’économique et le social a donc permis d’établir un premier postulat : la performance managériale de l’entreprise impacte la performance opérationnelle de l’entreprise.
La performance managériale dépend entre autres, de la performance économique mais aussi de la satisfaction des employés.
Une prise de conscience de la part des dirigeants a perçu l’intérêt et la nécessité de progresser dans la compréhension des critères de la RSE et des ESG, critères environnementaux, sociaux, et de gouvernance.
Ces nouveaux critères, s’ils sont acceptés et appliqués permettent d’amoindrir l’impact des coûts cachés, des défauts du processus de management ainsi que les erreurs et faiblesses des processus de production
La RSE, Responsabilité Sociétale des entreprises est une politique ou une démarche adoptée par les entreprises pour promouvoir le développement durable.
Pour évaluer la RSE dans l’entreprise, des critères ESG sont utilisés. Ils représentent l’ensemble des facteurs environnementaux, sociaux, et de gouvernance.
- Environnemental (E) : Evalue les impacts des actions de l’entreprise sur l’environnement, tels que la gestion des déchets et la réduction des émissions de CO2.
- Social (S) : Prend en compte les conditions de travail des collaborateurs, l’équité entre les intervenants internes et externes, ainsi que les avantages (formation récompenses, …).
- Gouvernance (G) : Evalue la manière dont l’entreprise est dirigée, la transparence des salaires et des comptes, ainsi que la lutte contre la corruption.
Pour cela, le tableau de bord des Ressources Humaines doit présenter les indicateurs classiques (Nbre Effectif, CDI-CDD-Intérimaires, Masse Salariale.) ainsi que d’autres éléments qui doivent alerter le management afin que des décisions correctives soient appliquées.
Les nouveaux dispositifs ESG ont été mis en place pour contribuer entre autres, à mieux évaluer l’implication des entreprises, et leurs démarches pour mesurer et améliorer leurs critères environnementaux, sociaux et relatifs à la gouvernance.
Au moyen de normes et règles bien précises, la quantification et la valorisation de ces indicateurs doit être effectuée de façon récurrente.
Un contrôle de gestion orienté socio-économique doit analyser les raisons des dysfonctionnements qui mettent en péril l’efficience de la main d’œuvre et bâtir des pistes d’amélioration du bien-être des salariés.
Ces nouveaux critères « sociaux » mis en avant et devenus « obligatoires » vont permettre de mettre en avant le processus managérial et contribuer à l’identification et l’amoindrissement des coûts cachés.
–L’absentéisme est une réalité qui affecte le bon fonctionnement de l’entreprise, tous secteurs économiques confondus : l’absence d’un ou plusieurs effectifs peut fortement gêner le bon fonctionnement de l’entreprise et générer des coûts réels mais invisibles en comptabilité
-L’absence d’un ou plusieurs salariés (absentéisme ou accidents de travail) engendrent des coûts de remplacement élevés. (Surcoûts, temps de formation, perte de productivité, non production)
-Le remplacement d’un effectif absent par une autre personne moins compétente, a un impact sur l’efficience globale.
La valorisation peut se faire au coût moyen de la journée de travail : ce coût est imputé comptablement sur les comptes de la Masse Salariale et participe donc à la justification des variations ou écarts de la Masse Salariale.
Il est donc nécessaire de le mettre en évidence et de l’inclure dans un plan d’actions managé par la direction d’entreprise.
–Le turnover ou taux de rotation des effectifs donne des informations sur l’attachement des effectifs à l’entreprise.
Cet indicateur donne le niveau de renouvellement des effectifs de l’entreprise.
La valorisation du taux de turnover doit inclure les coûts directs et les coûts indirects associé aux départs :
- Coûts du recrutement : agences de recrutement, parution des annonces.
- Coûts de formation : formation des nouveaux employés
- Coûts opérationnels : perte de productivité, surcharge de travail
- Coûts intangibles : impacts sur la motivation générale, le moral ainsi que l’image de l’entreprise.
Non-Production, Perte de Valeur Ajoutée :
Le rôle du Management dans l’optimisation des processus industriels est nécessaire et primordial. En effet, tous les niveaux de la hiérarchie d’une entreprise qu’elle soit industrielle ou productrice de services, doivent être fortement impliqués.
L’impulsion donnée par le management est profitable, l’objectif est double : augmenter les performances, éliminer les coûts cachés et donc les pertes de profit, de manière durable.
La valorisation de ces indicateurs ne génère aucune écriture directe dans la comptabilité, mais elle est utile et nécessaire pour justifier les résultats et surtout construire un plan d’actions permettant de réduire les effets négatifs sur la productivité
2-Les coûts cachés induits par les désagréments et défauts de l’organisation de production :
L’objectif d’une bonne organisation industrielle est centré sur la performance et donc sur la rentabilité.
Dans les entreprises, le contrôle de gestion constitue le poste de pilotage au service de l’efficacité et de l’efficience, composantes de la performance.
Le contrôle de gestion revêt plusieurs aspects :
-il peut être vu comme un système permettant de valider la cohérence des choix stratégiques
-de même, il peut être considéré comme un processus permettant de s’assurer que les ressources sont obtenues et utilisées avec efficacité et efficience.
-il doit devenir au sein de l’entreprise un centre de formation interne, porté sur la montée en compétences :
De ce fait, le contrôle de gestion au sein de l’entreprise modifie les comportements dans le but de rallier tous les services et les collaborateurs vers la performance. La pédagogie, le partage, la force de persuasion sont essentielles dans cette mission.
La culture de la performance, le durcissement des règles de rentabilité ont obligé les entreprises à progresser et à identifier les pertes de performance
Que ce soit dans les entreprises de services ou dans les entreprises de production, le management par objectif, les reporting édités régulièrement permettent de construire des plans d’actions, de les suivre et ainsi d’améliorer les pertes de non-performance et les coûts cachés.
Les coûts consignés dans la comptabilité grâce à la comptabilité analytique, et aux différents schémas d’incorporation des coûts permettent de valoriser les plans d’actions.
Le domaine des Ressources Humaines a fortement progressé et propose aujourd’hui un grand nombre de formations ainsi que des méthodes pour réduire les dysfonctionnements et accroitre le bien-être au travail.
Cela sous-entend un partage et une participation transversale de tous les services et départements de l’entreprise.
3-Les coûts cachés induits par les coûts des dysfonctionnement opérationnels :
Les plans d’actions « industriels » permettent d’identifier et de corriger les défaillances des processus industriels.
Pour les entreprises de production, certains outils ou méthodes ont fait leurs preuves aussi bien dans l’optimisation du suivi des productions que dans la recherche permanente des coûts cachés.
Ces méthodes de toute évidence mettent en évidence les coûts de production hors standard (avec une visibilité des coûts fixes et des coûts variables).
Ces coûts ne sont pas enregistrés de façon directe dans la comptabilité classique, ils sont en général répartis dans les différents postes de la comptabilité générale.
Il est néanmoins nécessaire de les identifier car ils constituent des sources de résultat non négligeables.
Parmi ces coûts, certains sont la conséquence de la « non-production » : ces coûts sont identifiés par les services RH mais font l’objet de plans d’actions opérationnels.
- Non-production pour des raisons de désorganisation de la main d’œuvre : difficulté à recruter r,
- Non-production pour des décisions stratégiques de non-investissements (capacitaire insuffisant, Taux de rendement dégradé).
- La non-efficience du personnel avec déperdition de valeur ajoutée : perte de temps utile
- Mauvaise gestion de la Matière Première et des composants stratégiques, non optimisation de la matière, pas de standardisation des nomenclatures.
(Pertes au feu pour l’industrie métallurgique, part des anges pour l’activité viticole : perte de masse lors d’une transformation d’un article solide en article liquide : les pertes de matière doivent être mesurées.. Nota : il existe aussi le gain de masse lors d’une incorporation d’atomes, oxygène…)
- Mauvais réglage des machines de production ou équipements défectueux, surcoût d’énergie …
La démarche d’amélioration continue des processus est très couramment déployée dans les entreprises afin de corriger les dysfonctionnements et mettre en évidence les « réserves » de profit.
Depuis plusieurs années ; différents outils sont à la disposition des entreprises ; la culture en gestion progresse, la recherche permanente des réserves de valeur ajoutée est l’objet de plans d’actions.
QUALITÉ TOTALE : La Qualité Totale (Total Quality Management, TQM en anglais) est une démarche de gestion de la qualité dont l’objectif est l’obtention d’une très large mobilisation et implication de toute l’entreprise pour parvenir à une qualité parfaite en réduisant au maximum les gaspillages (Waste) et en améliorant en permanence les éléments de sorties (outputs). Cette démarche repose sur la nécessité d’obtenir les certifications qualité ISO.
KAIZEN – du japonais KAI et ZEN, qui signifie amélioration. Dans les années 1950, l’ingénieur Taiichi Ohno développe le juste à temps chez Toyota et jette les bases du KAIZEN qui, à l’origine, relève de l’équipe managériale. Le concept évolue ensuite, aboutissant au Kaizen d’équipe. Les travailleurs réfléchissent aux améliorations à apporter à leurs activités, puis se donnent un plan d’action pour le réaliser. Dans ce cas le Kaizen se définit plutôt comme un outil que comme une méthode d’amélioration continue.
PVA – La production à valeur ajoutée (PVA) est une approche globale de fabrication qui permet de produire à moindre coût et plus rapidement tout en assurant une meilleure qualité. Cette version québécoise de l’amélioration continue a été élaborée au début des années 1990 par le ministère de l’Industrie et du Commerce (MIC) dans le but de permettre aux PME de mieux relever les défis de la concurrence internationale. À ce titre, la PVA emprunte sa méthodologie et ses outils à la fois au KAIZEN et au LEAN THINKING
SIX SIGMA – approche qui est une marque déposée de Motorola. Elle désigne une méthodologie structurée de management visant à une amélioration de la qualité et de l’efficacité des processus. Le Six Sigma a d’abord été utilisé sur des procédés industriels avant d’être élargi à tous types de processus, notamment administratifs. Aujourd’hui, elle effectue un retour en force en raison de la complexité du management moderne et de l’internalisation des processus qui imposent une vision plus globale des problèmes. La méthode Six Sigma se base sur une démarche structurée fondée à la fois sur la voix du client (enquêtes, etc.) et sur des données mesurables (par indicateurs) et fiables.
5S – approche tirée du système de production de Toyota. La première lettre en anglais de cinq mots japonais qui signifient respectivement DÉBARASSER, RANGER, NETTOYER, STANDARDISER, et PROGRESSER.
Le 5S permet de créer un environnement de travail fonctionnel, régi par des règles simples, précises et efficaces.
KANBAN – d’origine japonaise, cet outil de gestion des réapprovisionnements consiste à munir chaque produit d’une étiquette KANBAN. Chaque lot de pièces est également accompagné d’une étiquette sur la chaîne de montage afin de transmettre les ordres de travail et d’acheminer les commandes. Les pièces terminées, les cartes sont renvoyées à leur point d’origine et signalent ainsi qu’il faut effectuer de nouvelles commandes.
POKA YOKÉ – c’est un dispositif simple et peu coûteux de prévention et de détection des erreurs. Il s’agit de solutions simples mises en application par l’entreprise pour détecter les anomalies éventuelles sur la chaîne de production.
SMED – Le Single Minute Exchange of Die est né en 1970 sous l’impulsion du professeur japonais Shigeo Shingo et a d’abord été adopté par Toyota. Il se définit comme un outil structuré d’analyse des opérations en vue de réduire le temps de changement de production. Le SMED s’applique au temps total de changement de production, c’est à-dire à l’intervalle écoulé entre la fabrication de la dernière pièce d’une série et celle de la première pièce, correctement produite, de la série suivante.
QUALIMÈTRE – système progressif et continu d’évaluation, interne et externe, et d’attestation d’une démarche d’amélioration de la qualité. Développé par le Mouvement québécois de la qualité (MQQ), il est l’adaptation québécoise du Malcom Baldridge National Quality Award.
BENCHMARKING – démarche dévaluation des produits, des services et des méthodes par rapport à ceux des entreprises les plus performantes. On en tire des enseignements qui permettent à sa propre organisation de progresser. En français, on utilise également les termes ‘’balisage’’ et ‘’échantillonnage concurrentiel’’.
Les 7 catégories de critères sont: 1. Leadership 2. Planification stratégique 3. Approche client et marché 4. Mesure, analyse et gestion des connaissances 5. Approche orientée sur les ressources humaines 6. Gestion des processus
SYSTÈME DE PRODUCTION DE TOYOTA – (en anglais, the Toyota Way) ou SPT (traduction de l’anglais japonais Toyota Production System : TPS) est la méthode générale qui sous-tend fabrication et logistique chez le constructeur automobile Toyota, y compris les rapports avec les fournisseurs et les clients. Le SPT est un composant important de ce qu’on appelle la fabrication « au plus juste » (ou encore « sans gaspi ») (en anglais japonais lean manufacturing, litt. « la fabrication maigre », « la fabrication sans gras ») (« JIT» « Just in time»). Les pièces détachées sont approvisionnées au bon endroit, au bon moment, et en quantité suffisante, sans gaspillage. Seule la production répondant à une demande précise sort de la chaîne de fabrication. Cette méthode est à l’opposé du système antérieur de fabrication qui prévoyait des stocks de pièces importants, indépendamment de la demande réelle. La gestion de la qualité est une approche rigoureuse, et n’est surtout pas comme les jeux de hasard ou un casino en ligne.
360 degrés : revue complète de l’entreprise dans tous ses processus
Cette liste des outils disponibles n’est pas exhaustive : plusieurs méthodes très analytiques existent aujourd’hui et sont très évolutives (avec l’intégration de l’IA).
L’entreprise aujourd’hui doit en permanence analyser les pertes de sa performance afin de maitriser sa Valeur Ajoutée et augmenter sa rentabilité. Les outils à sa disposition sont nombreux et ont fait leurs preuves.
Au sein de l’entreprise, le contrôle de gestion est la plupart du temps l’animateur des plans d’actions transversaux, son aptitude à un rôle opérationnel est stratégique.
OdisData Michèle THEPENIER 14 juin 2024